CHAPITRE XIII

Chez les hols, on ignorait absolument tout de ce qui venait de se passer dans la galaxie voisine lorsque la flotte dirigée par Jokron et Horahor franchit la zone de substance neutre.

Les astronautes se demandèrent s’ils devaient transmettre immédiatement l’heureuse nouvelle. Ils préférèrent s’abstenir, de crainte que leurs messages ne fussent captés par les durups.

Même lorsqu’ils furent arrivés à Rohohir, seuls les organismes de défense furent mis dans le secret. Une réunion fut immédiatement organisée, afin qu’on dressât d’urgence un plan d’action.

Rad et Hira s’y rendirent ensemble. Maintenant, c’était le jeune homme qui portait un scaphandre léger, tandis que sa femme était vêtue de son habituelle combinaison faite d’un fin tissu blanc. Elle avait déclaré en effet à Rad qu’elle ne quitterait le deuil que lorsque la menace des durups aurait complètement disparu.

Tandis que commençait la délibération, présidée tout à la fois par Jokron et par Horahor, plusieurs chimistes des deux races recherchaient, dans une pièce voisine, quelle était la substance qui, chez les hols, correspondait à l’éther. Après avoir étudié les caractéristiques de celui-ci et s’être fait expliquer quels étaient ses emplois, les chimistes de Rohohir ne tardèrent pas à déclarer qu’il s’agissait sans nul doute du blinir. Tous passèrent aussitôt dans un laboratoire où une série d’expériences et de tests confirma qu’ils ne s’étaient pas trompés.

Les techniciens gagnèrent alors la grande salle de réunion et firent part aux deux présidents de leurs conclusions.

— C’est parfait, dit Horahor. Le blinir est un produit dont nous possédons des stocks importants et que nous pouvons, en outre, fabriquer rapidement en grosses quantités. Je viens d’expliquer aux hols ce qui s’est passé dans la galaxie voisine grâce à la découverte faite par Rad Bissis et par ma fille Hira. Nous pensons, le commandant Jokron et moi-même, qu’il s’agit d’une découverte capitale. À notre avis, elle constitue non seulement un moyen de défense, en rendant facile la détection des durups, mais aussi un moyen d’attaque et peut-être même de victoire…

Il se tourna vers Jokron.

— Commandant, voulez-vous nous exposer vous-même le plan dont vous avez été le premier à avoir l’idée ?

— Volontiers, fit Jokron.

Il parlait maintenant admirablement la langue des hols, et c’est dans cette langue qu’il s’exprima, par déférence pour ses hôtes, bien que ceux-ci, pour la plupart, connussent maintenant le pangalactique, la langue la plus répandue dans la civilisation humaine.

— L’idée, en vérité, n’est pas absolument de moi… Je n’ai fait que concrétiser diverses suggestions émises par votre état-major comme par le nôtre. C’est pourquoi je suis sûr que vous serez tous d’accord pour l’adopter. Il est maintenant avéré que les durups ne peuvent absolument pas supporter les émanations de cette substance volatile que nous nommons éther et que vous nommez blinir.

« La première pensée qui nous est venue a été d’effectuer partout, et à une grande échelle, la détection des durups qui se sont sournoisement mêlés à nos populations pour faire de l’espionnage ou préparer de mauvais coups. Je suis convaincu, en effet, qu’en un temps relativement court, nous serons purgés de cette vermine sur toutes les planètes où nous vivons…

« Mais nous avons pensé ensuite que ce n’était peut-être pas par là qu’il fallait commencer. Nous avons pensé qu’il y avait mieux à faire… »

Il se tut un instant. L’auditoire était suspendu à ses lèvres.

— Nous avons pensé qu’il fallait prendre l’offensive. Nous avons pensé qu’en saturant d’éther l’atmosphère des planètes occupées par les durups, nous les obligerions à fuir et pourrions, séance tenante, reconquérir ces planètes… Pour cela, il nous faudra d’énormes quantités de blinir. Mais mon ami Roan Horahor vient de vous dire qu’il était facile de les produire rapidement. Je suis donc d’avis qu’il faut attendre – en gardant le secret de ce que nous projetons – d’avoir réuni un stock assez considérable pour entreprendre une attaque réellement massive, portant sur une centaine de planètes. Si vous êtes d’accord, un plan dans ce sens va être immédiatement mis à l’étude…

Tout le monde fut d’accord. Les suggestions de Jokron et de Horahor furent adoptées sans la moindre objection.

On se mit aussitôt au travail, non seulement à Rohohir, mais sur toutes les planètes encore occupées par les hols. Les usines chimiques bientôt produisirent du blinir dans toutes les limites de leur capacité. Des centaines de techniciens examinèrent les aspects stratégiques et pratiques de l’attaque projetée. Un plan de mobilisation de tous les astronefs de défense, de tous les paquebots de l’espace, de tous les cargos, fut établi. Rad Bissis et Hira travaillaient jour et nuit côte à côte. Ils ne se quittaient guère que lorsque Rad devait regagner son astronef – ou le Centre Jokron – pour prendre ses repas et renouveler sa provision d’oxygène. Joe Koel était constamment auprès d’eux et les égayait de ses propos.

— Je vous l’avais toujours dit, répétait-il, que nous finirions par trouver un moyen de venir à bout de ces sacrés monstres !

Dob Brasdin semblait heureux lui aussi. Il savait maintenant que l’amour qu’il éprouvait pour une jeune hol, Terna, la fille d’un des physiciens de l’état-major de la défense, était partagé.

Jokron et Roan Horahor avaient quitté Rohohir. Ils faisaient une tournée d’inspection dans la galaxie pour activer les préparatifs.

*

* *

On avait prévu un mois pour que le dispositif d’attaque fût en place. Tout fut prêt au bout de trois semaines.

Malgré le nombre forcément élevé de personnes mises dans le secret, les durups, visiblement, n’eurent aucun soupçon. L’attaque devait porter simultanément contre soixante-dix-sept planètes choisies parmi celles que les hols souhaitaient le plus vivement reconquérir. Elle devait partir de vingt points différents de la galaxie où les forces astronautiques avaient été concentrées.

Bien que les hols eussent le désir de ne pas mettre en danger leurs hôtes – qui étaient aussi leurs sauveurs – et qu’ils eussent insisté pour qu’ils ne participent pas à cette expédition, Jokron et les équipages qu’il commandait déclarèrent qu’ils voulaient absolument assister à ce spectacle et y tenir eux aussi leur rôle.

Rad Bissis et Hira, le soir du départ, montèrent à bord de l’astronef mixte, repeint aux couleurs des hols, dans lequel ils avaient ensemble participé à la dramatique attaque contre la planète Rhingir.

Deux cents vaisseaux de l’espace quittèrent en même temps l’astroport de Rohohir – à la grande stupeur des habitants de cette énorme ville – qui ne savaient pas encore ce qui avait été préparé. Les astronefs firent route ensemble pendant plusieurs heures, dans le continuum, puis se séparèrent en plusieurs groupes, chacun d’eux se dirigeant vers un objectif différent.

Le vaisseau à bord duquel se trouvaient Rad Bissis et sa jeune femme fit route dans la direction de la planète Hihar, la planète mère des hols, celle dont la perte leur avait été la plus douloureuse : la planète où Hira était née.

Les hols avaient bon espoir de la retrouver à peu près intacte. Elle n’avait pas été bombardée. Les durups s’y étaient infiltrés en si grande quantité qu’ils avaient pu s’en emparer aisément. Par bonheur, une grande partie de la population, voyant la partie perdue, avait pu être évacuée et se réfugier sur Brael.

Hira et Rad, pendant cette randonnée et lorsqu’ils n’étaient pas pris par leurs fonctions respectives à bord, s’entretenaient par téléphone.

— J’espère, disait la jeune femme, que je vais retrouver debout notre vieille maison, dans les jardins de Ritiner. Vous verrez, Rad, comme cette planète est agréable. Elle ressemble encore plus que Brael à votre Terre.

Ils ne doutaient pas du succès de l’opération.

Celle-ci, pourtant, comportait des incertitudes. Les durups, lorsqu’ils verraient approcher une flotte ennemie, tendraient certainement leurs écrans protecteurs. Ceux-ci, faits pour que les bombes atomiques éclatent au-dessus de l’atmosphère et écartent tout danger de contamination, arrêteraient-ils les avalanches d’éther qui seraient déversées sur la planète ? Les experts répondaient par l’affirmative, mais ajoutaient : « Cela ne peut que retarder le dénouement. D’une part, le réseau magnétique protecteur ne couvre jamais d’une façon stricte toute la surface d’un globe. D’autre part, un tel réseau exige de telles dépenses d’énergie que son maintien ne peut être prolongé au-delà de quelques heures. Les écrans ne peuvent être, en aucune façon, permanente. Ils sont faits pour « tenir » pendant une attaque, et c’est tout. L’éther tombera plus ou moins sur les planètes, mais il y tombera ».

Hira, qui s’occupait de la navigation, téléphona à Rad.

— Nous allons sortir du continuum dans deux minutes. Ah ! Mon chéri, que je suis heureuse !

Ils virent reparaître les étoiles. Un globe énorme se détachait sur le noir du ciel. C’était Hihar, la belle planète verte.

Les radars aussitôt signalèrent des astronefs ennemis. Mais ceux-ci, devant l’imposante flotte qui s’avançait, battirent en retraite sans engager le combat.

La manœuvre fut la même que celle qui avait été effectuée lors des bombardements avec les bombes d’antimatière : une manœuvre d’encerclement. Mais cette fois, il allait s’agir d’un bombardement silencieux. Lorsque le dispositif fut en place et que l’ordre de passer à l’action fut lancé par Horahor qui commandait la flotte, Rad alla actionner les leviers d’éjection des « bombes à l’éther ». Celles-ci devaient s’ouvrir soit en arrivant au sol, soit en atteignant les écrans protecteurs. Dans ce dernier cas, le liquide quelles contenaient se congèlerait instantanément, mais, dès que les écrans cesseraient de fonctionner, l’éther tomberait vers le sol et redeviendrait rapidement liquide, puis gazeux.

Une minute après que cette opération fut effectuée, les astronefs reçurent l’ordre de s’éloigner. Au bout d’un moment, ils plongèrent dans le continuum. Ils en sortirent au bout de trois heures et revinrent de nouveau vers la planète Hihar.

Rad et Hira observèrent celle-ci avec les jumelles électroniques. Rien ne semblait s’y passer. Une partie du disque était dans l’ombre, l’autre dans la lumière. Les durups ne réagissaient pas.

Ils furent inquiets.

Horahor donna l’ordre à la flotte de s’éloigner encore, il ne laissa, comme observateur, que l’astronef où étaient Rad et Hira. L’astronef se plaça sur une orbite. Le ciel était vide. Au bout de dix minutes, le dernier des vaisseaux hols avait disparu des écrans de radar. Ils n’apercevaient aucun vaisseau durup. Plusieurs heures s’écoulèrent encore. Que se passait-il ? L’éther ne s’était-il pas encore mélangé à l’atmosphère de la planète ? Ou bien les infernales créatures avaient-elles trouvé quelque parade contre ce nouveau mode d’attaque ? Rad et Hira s’inquiétaient de plus en plus à mesure que les minutes s’écoulaient.

Joe Koel dit à Rad :

— Ne t’inquiète pas, fiston. Ne sois donc pas aussi impatient. J’ai calculé qu’il faudrait peut-être huit à dix heures pour que l’opération produise ses effets.

Mais cette affirmation ne calma pas les craintes.

Horahor devait s’inquiéter lui aussi, car il envoya un astronef de liaison pour demander des nouvelles.

— Rien encore, répondit Hira au message qu’on lui apporta.

Deux heures s’écoulèrent encore, qui parurent interminables. Rad et Hira avaient les yeux vissés aux jumelles électroniques. Ils doutaient de plus en plus du succès.

Mais soudain Hira poussa une exclamation. Sans cesser d’observer, elle appela Rad au téléphone. Sa voix était joyeuse.

— Avez-vous vu, mon chéri, cette luminosité verdâtre que l’on commence à apercevoir dans l’hémisphère nord, un peu à gauche de Ritiner, la capitale ?

— Oui… Je la vois… Cela ressemble à un rassemblement de durups sous leur forme originelle, mais ne prouve pas encore grand-chose…

— Si… Si… Je suis sûre que ce sont des durups qui viennent de se désincarner et qui fuient… Regardez… On voit des taches analogues apparaître un peu plus à l’est, où se trouve la ville de Réor, et plus à l’est encore, au bord de l’Océan Bleu, à Norir, où étaient nos centrales atomiques.

— Je vois, s’écria Rad. Je vois tout cela très distinctement. Vous avez raison, ma chérie… Ce sont des durups en fuite. Nous avons réussi… Nous avons réussi…

Rad était au comble de la joie. Il alerta tout l’équipage, pour lui faire part de la bonne nouvelle. Hira la transmit aussitôt à l’astronef de liaison.

De minute en minute, il fut de plus en plus certain que les durups fuyaient les villes où ils s’étaient installés. Sur toute la face visible de la planète, et surtout dans la partie qui était plongée dans l’ombre, on voyait des taches lumineuses en mouvement.

Ces taches grossirent, se rapprochèrent.

— Ils ne se contentent pas de fuir les villes ! s’exclama Dob Brasdin. Ils ont l’air de fuir la planète.

— Je vous l’avais bien dit, s’écria Joe Koel. Et n’est-ce pas ce que nous escomptions ?

Une demi-heure plus tard, la flotte des hols était revenue se placer sur une orbite autour de Hihar. Maintenant, le spectacle était extraordinaire. Les durups, par centaines de milliers, fuyaient vers le ciel. Une cohorte se détacha du gros de cette troupe éperdue et fonça sur les astronefs. Pour la dernière fois de leur vie, Rad, Hira et leurs compagnons entendirent le strident « duuuu ruuuuup… duuuu ruuuuup… » qu’émettaient les horribles et mystérieuses créatures. Mais ils ne l’entendirent pas longtemps. Des jets d’éther gazeux furent lâchés dans le vide par les astronefs, et la cohorte se disloqua et s’enfuit.

Les hommes et les hols exultaient, la victoire était certaine. Avant même que les dernières phalanges de créatures lumineuses se fussent évanouies dans l’espace, Horahor lança l’ordre d’atterrir et d’occuper les astroports de la planète. Pendant que s’effectuait cette manœuvre, quelques astronefs durups apparurent, firent mine d’attaquer, mais s’éloignèrent rapidement.

*

* *

Une heure plus tard, Rad et Hira sortaient de leurs sas respectifs, sur l’astroport de Ritiner, et allaient se jeter dans les bras l’un de l’autre. Ils s’étreignirent longuement. Puis Hira se baissa et posa les lèvres sur le sol de sa planète natale.

— Je ne puis dire à quel point je suis heureuse ! s’écria-t-elle. Mon seul regret est que mon frère ne puisse pas voir cela. Venez, Rad… Venez… J’ai hâte de voir notre vieille maison.

Mais elle fit la grimace et éternua.

— Ça pue l’éther… Il faut que je mette mon masque… Il n’est pas étonnant que les durups aient tous fui !

Rad, dans son scaphandre, ne sentait évidemment rien.

Ils montèrent dans un des autoplans qui se trouvaient non loin de là et s’éloignèrent rapidement. La ville apparemment – ainsi que Hira le dit à Rad – n’avait pas beaucoup changé. Mais elle était déserte et comme morte. Un peu partout, sur la chaussée, sur les trottoirs, ils virent des petits tas de cendre : tout ce qui restait des organismes vivants qu’avaient occupés les durups.

Ils pénétrèrent dans un magnifique jardin au fond duquel se dressait une grande et belle demeure.

— Me voilà rassurée ! fit Hira. C’est notre maison, et elle est debout… Même si elle a été dévastée, nous la remeublerons. L’essentiel est que nous la retrouvions. C’est là que je suis née. C’est là que ma mère est morte. C’est dans ce jardin que j’ai grandi…

Ils mirent pied à terre, gravirent les marches du porche de marbre, franchirent la porte qui n’était pas fermée. Par prudence, ils tenaient à la main leurs pistolets. Ils ouvrirent une porte. Hira poussa un cri de surprise. La grande pièce dans laquelle ils entrèrent était pleine de meubles, de tableaux, d’objets de toutes sortes entassés les uns sur les autres.

— Nos meubles ! s’exclama Hira. Tous ceux de la maison ont l’air d’être réunis ici. Qu’est-ce qu’ils ont bien pu faire dans les autres pièces ?

Dans les autres pièces, on ne voyait que des coussins, d’énormes coussins sombres, mais pas un meuble, pas un objet, rien. Rien que les robots domestiques, qui se tenaient debout le long des murs, immobiles, mais prêts à fonctionner.

— Ces durups sont d’étranges et incompréhensibles créatures, murmura la jeune femme.

Ce pèlerinage terminé, ils regagnèrent leur astronef qui fonça dans l’espace une heure plus tard. Une partie de la flotte resta sur la planète Hihar pour assurer sa mise en défense et préparer le retour de ses vrais habitants.

*

* *

L’opération « éther » avait été un succès sur toute la ligne. Les soixante-dix-sept planètes attaquées avaient été reconquises. Les astronefs des hols maintenant rencontraient dans l’espace des nuées de durups désorientés et qui fuyaient à leur approche. Ils en détruisirent des quantités énormes.

Roan Horahor et le commandant Jokron – qui à leur retour avaient été l’objet, à Rohohir, d’ovations délirantes – s’étaient mis sans retard à préparer la seconde tranche de l’opération. Car il restait encore de nombreuses planètes à délivrer. Ils étaient réunis avec les experts, vingt-quatre heures après la silencieuse bataille dont ils étaient sortis vainqueurs, lorsqu’on leur apporta un message.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Horahor.

— Je ne sais pas, dit l’opérateur. C’est un message qui émane des durups.

— Et qui nous est adressé ?

— Je crois…

— Faites voir, dit Hel Sitine.

Le vieux savant se pencha sur le ruban de papier qu’on lui remit et qui était couvert d’une sorte de graphique bizarre. Au bout d’un instant, son visage s’éclaira d’un large sourire.

— C’est bien pour nous, dit-il. Les durups demandent à négocier. Ils se disent prêts à nous envoyer des délégués. Ils attendent notre réponse.

— Négocier ! s’exclama Horahor. Voilà qui est nouveau. Et pourquoi pas ?

— Pourquoi pas, en effet ? dit Jokron. C’est le seul moyen de savoir ce qu’ils veulent.

Toute l’assemblée fut de cet avis. La réponse fut rédigée séance tenante.

*

* *

Vingt-quatre heures plus tard, un astronef durup se posait sur l’astroport de Rohohir. Il était midi. À 13 heures, commençait, dans la grande salle d’honneur du Centre de Défense, la plus étrange réunion qui eût jamais été enregistrée dans l’histoire des hommes et des hols.

Ces derniers étaient une douzaine. Mêlés à eux, revêtus de leurs scaphandres couleur de corail, on voyait Jokron, Joe Koel, Rad Bissis, Dob Brasdin et plusieurs autres astronautes humains. Assis dans d’épais fauteuils, ils faisaient tous face à quatre créatures extraordinaires qui avaient pris place, elles, derrière une longue table de marbre aux pieds sculptés. Trois de ces créatures avaient des corps minuscules, des têtes énormes, de gros yeux de crapauds, des membres longs et souples terminés par des tentacules. La quatrième ressemblait à un grand anthropoïde velu et mauve.

Hel Sitine et deux savants hols qui savaient déchiffrer les messages des durups se tenaient près de la table pour servir d’interprètes. Mais on n’eut pas besoin de leurs services. Les quatre durups connaissaient fort bien la langue des hols, et aussi celle des hommes.

La séance fut ouverte.

— Nous vous écoutons, dit Horahor.

Ce fut le grand singe mauve qui parla.

— Nous venons vous proposer un partage de votre galaxie.

Roan Horahor répondit calmement :

— Cette galaxie est notre domaine. C’est nous qui l’avons civilisée. Et vous savez que nous sommes en mesure de la reconquérir, sinon vous ne seriez pas ici. Nous allons donc vous faire connaître les conditions que nous mettons à la réussite de cette entrevue. Si vous les acceptez, l’affaire sera réglée. Si vous les repoussez, nous sommes décidés à vous exterminer jusqu’au dernier.

— Faites connaître vos conditions, dit une des créatures à tête énorme.

— Les voici. Primo : les durups s’engagent à évacuer totalement la galaxie des hommes et celle des hols, à regagner la zone neutre qui est leur domaine habituel et à n’en point sortir, car toute infraction équivaudrait à une rupture du contrat et appellerait des représailles immédiates ; ils s’engagent, en outre, à laisser le libre passage à travers la zone neutre aux astronefs des hommes et des hols.

« Secundo : les durups laisseront dans les astroports qui leur servent de base tous les astronefs qu’ils ont confisqués ou fabriqués et qui sont actuellement en leur possession ;

« Tertio : ils s’engagent à laisser les planètes qu’ils ont encore à évacuer dans l’état où elles sont présentement ;

« Quarto : ils s’engagent à livrer aux hommes et aux hols, dans les vingt-quatre heures, le secret technique du changement de polarisation de la matière.

« C’est tout… »

Les quatre durups monstrueux restèrent silencieux et immobiles un moment, mais ceux qui les voyaient eurent l’impression qu’ils correspondaient entre eux télépathiquement.

— Estimez-vous heureux, dit Jokron. Nous sommes plus généreux que vous ne l’avez été. Nous vous laissons vivre, alors que vous nous auriez exterminés. Mais nous vous exterminerons sans pitié si vous repoussez nos conditions.

Un durup à grosse tête déclara :

— Nous ne pouvons prendre la décision nous-mêmes. Pouvons-nous communiquer avec les nôtres ?

Le grand singe fut conduit dans la salle des télécommunications. Il revint un quart d’heure plus tard. Il reprit place dans son fauteuil, parut se recueillir un instant.

— Nous acceptons, dit-il.

Une demi-heure plus tard, l’astronef des durups disparaissait dans l’espace.

*

* *

Ce fut, à Rohohir, une liesse sans précédent, et l’enthousiasme de la délivrance gagna de proche en proche toute la galaxie.

Le lendemain, on vit reparaître le vaisseau des durups. De nouveaux délégués, aussi monstrueux que ceux de la veille, venaient remplir une des clauses du traité : ils apportaient le secret du changement de polarisation de la matière.

Les savants hols firent aussitôt des expériences sur les corps les plus variés, puis sur des animaux. Elles furent toutes concluantes. Le premier volontaire humain pour être soumis au traitement fut Rad Bissis. Il entra dans la cabine isolante où il quitta son scaphandre, et il fut soumis pendant cinq minutes aux radiations mystérieuses. Hira attendait dans le laboratoire voisin, non sans une certaine anxiété.

On l’appela pour lui dire que le traitement tirait à sa fin et que tout semblait s’être bien passé.

Quand elle vit sortir Rad de la cabine, sans scaphandre, elle se jeta dans ses bras. Et, pour la première fois, leurs lèvres purent s’unir, en un interminable baiser que Joe Koel contempla avec attendrissement.

— Je n’ai jamais si bien respiré, déclara Rad en humant l’air.

Le second volontaire fut Dob Brasdin. Et il y eut un second mariage entre un homme et une jeune fille hol. Mais celui-ci eut lieu à Rohohir. Et, cette fois, aucun des invités ne porta de scaphandre.

Le banquet fut un triomphe auquel s’associa toute la planète. Les hommes purent enfin goûter aux mets des hols. Ils apprécièrent particulièrement le hosnor, qui ressemblait au caviar terrestre, et le baonek, qui ressemblait au délicieux calcine de la planète Bislaine du Scorpion. Quant aux breuvages, ils faisaient penser aux vins de la Terre, avec un parfum légèrement framboisé.

Rad prit la coupe de sa femme et la porta à ses lèvres.

— Attention aux explosions ! s’écria Joe Koel. Aux explosions de joie, bien entendu.

L’excellent Koel était légèrement éméché. Il chanta de vieilles chansons d’astronautes. Et il imita le cri strident des durups, ce cri qui n’était plus qu’un cauchemar enfin oublié. Quant à Brasdin et à sa jeune épouse, ils étaient, comme Rad et Hira, perdus dans leur bonheur.

 

 

FIN